statc J£w$ Got Mon€¥: décembre 2014

vendredi 5 décembre 2014

Les juifs et l'argent : "Il faut éduquer dès l'école. Après, c'est trop tard"

La violente agression d'un couple juif à Créteil remet sur le devant de la scène l'antisémitisme présent depuis si longtemps dans la société. Le sociologue Michel Wieviorka nous explique pourquoi.


"Les juifs, ça a de l'argent". C'est de cette manière que trois hommes se sont justifiés d'avoir violemment agressé un couple de confession juive,mercredi 3 décembre, à Créteil. Selon le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve, "le caractère antisémite de l'agression semble avéré".
Pour le sociologue Michel Wieviorka, auteur de "L'antisémitisme expliqué aux jeunes" (Seuil, 2014), ce préjugé liant juifs et argent existait "avant même l'antisémitisme". Pourquoi persiste-t-il ? Comment le combattre ? Explications de Michel Wieviorka. 
Jusqu'où remonte l'image stéréotypée associant les juifs à l'argent ?
- Les préjugés envers les juifs remontent, avant même l'antisémitisme, à l'antijudaïsme. Si l'argent n'était pas encore en jeu, la haine était religieuse : les chrétiens reprochaient aux juifs d’être un peuple déicide, d’avoir tué Jésus et de ne pas vouloir reconnaître la nouvelle religion.
Par la suite, au Moyen Age, les juifs ont souvent été, sinon expulsés, maltraités et confinés à des fonctions liées à l’argent, ce qui était mal considéré. Beaucoup travaillaient dans la banque. Ils ont alors commencé à subir des accusations de rapacité et d’avarice.
Ces reproches ont pris un tour nouveau au XIXe siècle, lorsque s'est construite la critique capitaliste : les juifs ont alors été accusés d’être les agents du capitalisme. Il ne leur était plus seulement reproché d’être avares, mais bien de ruiner le monde par l'argent. Là est véritablement né l'antisémitisme à proprement parler : les juifs ont été considérés comme une race, et associés à un complot d'envergure mondiale, le "Protocole des Sages de Sion".   
Tous les juifs étaient-ils concernés ?
- Non, un petit nombre de personnes était visé pour des raisons politiques, alors que la grande majorité des juifs a toujours appartenu plutôt à des masses misérables, des communautés traditionnelles…
Au moment de la révolution industrielle, les juifs ont constitué des bastions importants du prolétariat ouvrier, notamment en Pologne. C’est donc une idée injuste que de réduire le monde juif à la banque, à la finance et à l’argent. 
Pourquoi ce préjugé historique est-il encore si présent aujourd'hui ?
- L'agression du couple de Créteil, tout comme l'affaire Fofana, relèvent d'une criminalité mêlant crapulerie et antisémitisme. Mais ces actes s’inscrivent dans un paysage complexe et diversifié. La question israélo-palestinienne, l’islamisme radical, les propos et l’attitude de Dieudonné… Un ensemble de phénomènes excitent en même temps la société. On ne peut donc malheureusement pas isoler ces violences d’un contexte plus large.
Est-il possible d'en finir avec cette stigmatisation ? 
- Les juifs se retrouvent dans toutes les catégories sociales, et ils ne sont pas spécialement riches. Mais le problème avec de tels préjugés, c’est que ceux qui les véhiculent sont tellement convaincus de leurs propos qu’ils ne sont pas sensibles au discours de la raison. 
Essayez de convaincre les antisémites qu’ils ont tort : ils y verront une preuve de la malignité supérieure des juifs ! Ainsi, en voulant montrer que les juifs n’ont pas un rapport spécifique à l’argent, ceux qui sont convaincus du contraire diront que, d’une manière ou d’une autre, cela atteste de la suprême habilité des juifs à faire croire que nos idées sont fausses.
Alors comment au moins combattre ce préjugé ? 

- Chaque fois qu’une catégorie de la société est susceptible d’être sensible à ces stéréotypes, des explications doivent être apportées sur la vérité. Le but est d'éduquer les gens qui pourraient basculer dans le cliché, mais qui peuvent encore entendre des explications raisonnables. Et comme il est difficile de convaincre les plus convaincus, les efforts doivent être fournis au plus tôt, dès l'école. Après, c'est trop tard.
Mais s’il s’agit d’éduquer, il faut aussi préparer les enseignants, qui sont parfois confrontés à des situations qu’ils maîtrisent mal. Par exemple, un professeur d’Histoire qui parle de la naissance de l’Etat d’Israël, de l’antisémitisme et du nazisme, aura parfois des difficultés à faire cours devant des adolescents qui ont déjà des préjugés. Il est donc primordial de donner aux enseignants des outils pédagogiques qui leur permettent d’affronter des situations où les passions peuvent surgir. 
http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20141204.OBS7030/les-juifs-et-l-argent-il-faut-eduquer-des-l-ecole-apres-c-est-trop-tard.html

Les Juifs et l'argent, un préjugé tenace



«Le caractère antisémite de l'agression semble avéré», a expliqué jeudi Bernard Cazeneuve au sujet de l'attaque à Créteil d'un couple juif par deux hommes. Les auteurs de l'agression auraient invoqué la religion de leurs victimes pour justifier leur choix: «Ils pensaient qu'étant donné que ma famille est juive, les juifs, ça a de l'argent, c'est comme ça qu'ils l'ont dit, a raconté l'une des victimes à France Info, et en plus les Juifs ça ne met pas l'argent à la banque.». Une «raison» invoquée également par les agresseurs d'Ilan Halimi, jeune homme juif enlevé et torturé à mort en 2006 par le «gang des barbares» qui espérait une rançon de sa famille «supposée riche car juive».
• Préjugé historique. L'antisémitisme «économique» est une conséquence de l'antijudaïsme religieux: considéré comme le peuple «déicide» (pour avoir tué le Christ), les Juifs sont mis au ban de la société par les chrétiens. Comme le rappelle le sociologue Michel Wieviorka dans une interview à l'Obs: «au Moyen Age, les juifs ont souvent été, sinon expulsés, maltraités et confinés à des fonctions liées à l'argent, ce qui était mal considéré. Beaucoup travaillaient dans la banque. Ils ont alors commencé à subir des accusations de rapacité et d'avarice.». Mais c'est à l'orée du XIXème siècle, avec l'émergence du capitalisme industriel, que le cliché des Juifs et de l'argent s'affirme avec une nouvelle force. Les Juifs sont alors accusés d'être les promoteurs du capitalisme mondialisé. Le cliché se transforme en complot. L'historien Gerald Krefetz dans son livre Les juifs et l'argent: les mythes et la réalité, résume l'idée de l'antisémitisme économique en une phrase: «[les juifs] contrôlent les banques, la réserve monétaire, l'économie et les affaires — de la communauté, du pays, du monde».
Si le nouvel antisémitisme- ce que Pierre-André Taguieff appelle en France «nouvelle judéophobie»- qui se cache derrière le masque de l'antisionisme radical fait de nombreux adeptes, notamment dans les banlieues où se transposent le conflit israélo-palestinien, l'antisémitisme «à l'ancienne» reste tenace. On trouve par exemple dans les vidéos de Dieudonné et d'Alain Soral de nombreuses allusions à des liens entre la «communauté organisée» et les milieux d'affaires.
• Comment combattre ce préjugé? A l'Obs, l'auteur de L'antisémitisme expliqué aux jeunes insiste sur le rôle primordial de l'école pour lutter contre ces stéréotypes. «Comme il est difficile de convaincre les plus convaincus, les efforts doivent être fournis au plus tôt, dès l'école. Après, c'est trop tard.». Il conseille de doter les enseignants d'outils pédagogiques pour aborder ce sujet délicat.
Pour lutter contre ce préjugé, un Français Sasha Andreas a réalisé un documentaire «Jews got money» où il enquête sur la pauvreté dans la communauté juive à New-York, ou un Juif sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. En France, où les statistiques ethniques sont interdites, il est impossible de déterminer le niveau de vie des Juifs. Mais les deux plus grandes communuatés juives se situent à Sarcelles et dans le XIXème arrondissement de Paris, quartiers plutôt populaires, où la population a plutôt un train de vie modeste.
«On a donc voulu démontrer ce qui semble pourtant évident: la pauvreté existe aussi dans cette communauté.» explique la productrice du film Anna Heim, à BFMTV. Le documentaire a connu des difficultés de diffusion en France et en Israël, que l'auteur explique par une «peur de la stigmatisation». Sur le blog «Les Juifs ont de l'argent», les auteurs du documentaire s'appliquent à faire la généalogie historique de ces préjugés et à les démonter.

http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2014/12/05/01016-20141205ARTFIG00297-les-juifs-et-l-argent-un-prejuge-tenace.php

"Jews got money": un film veut briser les clichés sur les juifs et l'argent



Deux Français ont enquêté et réalisé un documentaire sur la pauvreté dans la communauté juive. Ils ont découvert un véritable tabou, au-delà du stéréotype du "juif forcément riche". Entretien.

jeudi 4 décembre 2014

L'argent et les Juifs


L'un des clichés antisémites les plus tenaces est l'amalgame des Juifs avec l'argent et la cupidité insatiable.

Après l'expulsion des Juifs d'Angleterre et de France au XIVe siècle, les Juifs se replient dans des cités ou provinces où ils bénéficient d'une sécurité relative et d'un statut précaire. Les professions liées à la terre (qu'ils n'ont pas le droit de posséder) leur sont interdites, de même que les fonctions politiques et la plupart des professions libérales. Restent le commerce et la finance. L'Eglise réprouve la pratique de l'usure chez ses fidèles. Les rabbins (guides spirituels des Juifs) y sont également opposés, mais devant l'absence d'alternative professionnelle, ils autorisent leurs coreligionnaires à exercer le prêt à intérêt. C'est la naissance du cliché antisémite amalgamant pour des siècles les Juifs et l'argent.

Plusieurs princes utilisent les services des Juifs, en échange de leur protection ou de privilèges, mais la situation des Juifs reste précaire et à la merci des besoins, des exigences et de l'humeur des princes qui peuvent, sans préavis, les expulser, leur confisquer leurs biens ou en faire les boucs émissaires du mécontentement populaire. Ils sont aussi l'objet de haine de la part de l'Eglise, à cause de leur métier, et de la part de la population pauvre qui les jalouse.

A Zurich, en 1309, un décret ordonne même aux Juifs de prêter de l'argent aux bourgeois de la ville moyennant caution; s'ils s'y refusent, ils encourent des sanctions. Le taux d'intérêt était fixé par le Conseil. Le prêt à intérêt et la friperie constituaient la seule source de revenus pour les Juifs de la ville.

C'est souvent au prix d'impôts toujours plus lourds que les Juifs sont tolérés : payer pour avoir le droit de résider, payer pour aller et pour venir, payer pour vendre et pour acheter, payer pour prier en commun, payer pour être enterré au cimetière. Sans argent, la communauté juive du Moyen Age serait condamnée à disparaître. D'où la nécessité d'en avoir assez pour vivre et survivre.

Ainsi, dans le comté de Baden, les Juifs résidaient en qualité d'"étrangers protégés", mais ils pouvaient en tout temps être expulsés. Grâce à des versements importants au bailli de Baden, les Juifs acquirent des "lettres de protection" leur assurant le droit d'établissement pour quelques années. Cette lettre autorisait les Juifs à pratiquer le commerce, mais pas à posséder des bâtiments ou des terres. Le nombre de maisons juives ne pouvait être augmenté ni les bâtisses surélevées ou agrandies. La dernière lettre de protection date de 1792.

Le stéréotype médiéval du Juif maître de la finance sera repris plus tard dans une version moderne : le Juif devient l'incarnation du capitalisme, de l'âpreté au gain et de l'exploitation des pauvres.

Aujourd'hui, cet amalgame n'a pas disparu de nos sociétés. Il réapparaît avec chaque crise économique (par exemple en 1997, le président malaisien accusait les Juifs d'avoir fait chuter la monnaie de son pays) et sert d'explication facile lors de faillites ou de réussites financières spectaculaires.

En Suisse, l'affaire des fonds en déshérence a réactualisé ce stéréotype, puisqu'on entend régulièrement des réflexions à propos de la cupidité des Juifs et leur volonté tenace d'obtenir toujours plus. Dans le cas présent, on oublie de mentionner que les organisations et les plaignants juifs ne réclament que ce qui leur appartient et qui a été illégalement gardé par les banques pendant plus de 50 ans.


François DE FONTETTE : Histoire de l'antisémitisme, Paris, Que sais-je ?, 1982.
Vie juive en Suisse, collectif, Lausanne, Grand-Pont, 1992.