On a du mal à croire que des survivants de la Shoah vivent dans la pauvreté, mais c’est pourtant vrai. Aujourd’hui vivent en Israël 260 000 rescapés de la Shoah et 80 000 d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté.
L’appartement de Léoplod Rosen à Holon a bonne apparence. Il est en effet entretenu par quelqu’un qui est payé pour cela. Léopold qui est âgé de 85 ans est bien malade : il est relié dix-sept heures par jour à un ballon d’oxygène, ayant contracté la tuberculose pendant la guerre en se cachant des Nazis dans la forêt polonaise. L’une de ses mains qu’a touchée une balle allemande est restée paralysée. Il a de l’épilepsie, de l’asthme et son coeur fonctionne grâce à un pacemaker. Entre ses quintes de toux, il nous dit avec un humour aigre-doux : « la seule chose qui fonctionne encore, c’est mon cerveau ». Ce n’est pas un doux ; lui et d’autres n’ont pas hésité à exécuter un collaborateur juif dans la forêt. Aujourd’hui, il serait capable de faire de même si quelqu’un essayait de lui prendre sa télévision. Cela pourrait bien lui arriver, puisque pour la première fois, il n’a pas les moyens de payer l’abonnement.
Veuf avec deux grands fils qui ne peuvent pas l’aider, Léopold doit vivre de sa pension vieillesse de 2100 shekels à laquelle il faut ajouter 700 shekels, somme venant des réparations que le gouvernement allemand verse à Israël. « Je n’ai pas toujours de quoi manger » dit il. Ce n’est pas pour lui le problème fondamental, - il mangeait de la terre quand il devait se cacher dans la forêt polonaise -. « Ma priorité est, dit-il, de payer les factures ».
Ces survivants de la Shoah sont dans leurs 70ème ou 80ème années, mangent aux soupes populaires et reçoivent leurs vêtements d’organisations charitables. Il leur faut choisir entre produits alimentaires ou médicaments, et ils n’ont pas, bien entendu, suffisamment d’argent pour se payer un appareil auditif, des lunettes ou un dentier.
Les gens au pouvoir le savent, mais ils ne font rien. Théoriquement, Léopold dépend d’une assistante sociale qui est responsable de centaines et même de milliers de personnes, aussi n’a-t-il reçu qu’une seule visite depuis qu’il est à la retraite. « Mes dents me font mal » dit-il. Quant à ses lunettes, elles ont été payées par une femme allemande.
Sur les 80 000 survivants de l’holocauste qui vivent sous le seuil de pauvreté, 20 000 sont originaires d’Europe et 50 000 sont des immigrants des pays de l’ex-Union Soviétique venus à partir des années 90. Les Européens ont généralement davantage souffert des Nazis. La majorité des Russes a échappé à l’invasion d’Hitler, mais ils ont été déplacés par leur gouvernement en Sibérie, souffrant du froid et de la faim. Ils n’ont pas de matricule tatoué sur leur bras, ils n’ont pas été dans des camps de concentration, alors, sont-ils eux aussi des survivants de la Shoah ? Ils ont fui les Nazis. Nombreux sont ceux qui viennent d’Ukraine, qui ont été dans des camps nazis et dont beaucoup de membres de leurs familles ont été assassinés. « Aussi, dit le docteur Nata Kellerman, président d’une organisation qui a pour but de les aider, mais qui manque de moyens, faut-il les compter comme des survivants de la Shoah ».
Selon une étude effectuée il y a deux ans par un démographe de l’Université Hébraïque, il ressort que 35% des survivants ont besoin d’une aide : par exemple, des couvertures ou des appareils de chauffage ; 25% doivent choisir entre une bonne nourriture ou des médicaments ; 16% ne peuvent pas payer leur note de téléphone ou visiter leurs enfants.
A Ramat Gan, Ryvka Hilsemat a plus de 80 ans et se réjouit de voir quelqu’un avec qui parler. Elle se met à pleurer quand elle se souvient de l’Ukraine. « J’ai perdu la moitié de ma famille, mes trois frères. Mon père est mort dans la rue, j’ai vendu mes vêtements pour un morceau de pain et c’est ce qui m’a permis de rester en vie ».
Colette Avital, l’avocate des survivants, à qui nous avons demandé comment les autorités pouvaient les laisser dans cette pauvreté, a répondu : « Le gouvernement a ajouté à ce qu’a versé l’Allemagne ; d’où peut venir l’argent ? ». La seule compensation venue en dehors du gouvernement d’Israël est la pension mensuelle de 1040 shekels pour 50 000 survivants. Ils sont arrivés en 1953, l’année où les Allemands ont versé des dédommagements. L’Etat d’Israël a créé des clubs sociaux, des centres de traitement psychologique et un organisme qui organise des visites à domicile pour 9 500 survivants.
Colette Avital continue : « J’ai découvert seulement récemment que le gouvernement continuait de recevoir de l’argent de l’Allemagne, soit 200 millions de dollars par an. Même après avoir donné aux survivants, il reste une somme importante ». Le gouvernement retient 8% sur la somme versée aux survivants, malgré l’accord avec l’allemagne qui dit que cet argent ne peut être taxable.
Les gouvernements d’Allemagne, de France et d’Autriche donnent davantage d’aide financière à leurs survivants de la Shoah que le gouvernement d’Israël aux siens. C’est vrai, ces pays furent des responsables directs de la Shoah. Mais en même temps, Israël est le seul Etat qui reçoive des réparations d’un autre pays. Un problème moral se pose : un survivant doit-il recevoir plus d’argent qu’un vieillard pauvre d’Ethiopie ou du Maroc ?
Zeev Factor, président du Fond et survivant du ghetto de Lodz, Auschwitz et Buchenwald dit que non seulement la Shoah a joué dans la reconnaissance de l’Etat par l’ONU, mais que dans les premières années de sa construction, les réparations allemandes ont aidé à construire des routes, des hôpitaux et l’armée. Nous n’avons pas le droit de permettre que les survivants souffrent encore une fois de la faim, ni qu’ils soient à nouveau coupés du monde, parce qu’ils ne peuvent pas acheter un appareil auditif.
J.Rozenstein, emprisonnée dans un ghetto en Ukraine à cinq ou six ans, en a aujourd’hui 71. C’est un paquet de nerfs qui n’arrête pas de parler. Au ghetto, elle a vu les Nazis trancher la tête de sa petite soeur de cinq mois et battre sa grand-mère jusqu’à ce que mort s’ensuive. « Je n’ai personne à qui parler, ni tombe à visiter » dit-elle. Avec ses 3 700 shekels mensuels, il n’est pas question d’acheter ni lunettes, ni dentier, et elle a payé l’opération du coeur de son mari après que le chirurgien l’ait convaincue de le faire dans une clinique privée. Son mari est mort sur la table d’opération. « Mais j’en connais d’autres encore plus pauvres qui fouillent les poubelles pour trouver de la nourriture ».
Son cynisme n’est pas sans raison. L’Etat a relégué ses responsabilités aux organisations charitables. Méir Panim (l’équivalent des « restos du coeur ») dit que sur 8500 personnes qui prennent leur repas dans les quinze centres qu’il prend en charge, 2000 sont des survivants. Ce sont ceux-là qui en souffrent le plus. Quand vous voyez des personnes attendre avant l’ouverture vers 11 heures, ce sont souvent des rescapés de la Shoah.
Grégory, Olga et Vassily ont été envoyés dans les montagnes de l’Oural près de la Sibérie en 1941. Il faisait moins quarante, dit Grégory et nous avions faim. Arrivée en 1992 en Israël, Olga n’a, depuis lors, pu acheter aucun vêtement.
On peut se poser la question : pourquoi des centaines de millions de dollars sont-ils dépensés par des Juifs d’Amérique surtout, mais aussi en Israël pour des musées de la Shoah, pour des statues et pour d’autres monuments ? Certes, faire connaître à la nouvelle génération l’extermination des Juifs d’Europe et garder en mémoire les événements de cette période sont des sujets importants, mais cela ne devrait pas empêcher que certaines sommes soient destinées à aider les derniers survivants à vivre plus décemment. « Ces gens sont dans la dernière période de leur vie » dit Factor, 81 ans, qui parle avec difficulté suite à une attaque cérébrale, et « nous ne pourrons plus les aider dans le futur, et leur futur, c’est aujourd’hui ».
Cecile Pilverdier
Source : article de Larry Derfner dans Jerusalem Post du 16 février 2007
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