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vendredi 5 décembre 2014

Les juifs et l'argent : "Il faut éduquer dès l'école. Après, c'est trop tard"

La violente agression d'un couple juif à Créteil remet sur le devant de la scène l'antisémitisme présent depuis si longtemps dans la société. Le sociologue Michel Wieviorka nous explique pourquoi.


"Les juifs, ça a de l'argent". C'est de cette manière que trois hommes se sont justifiés d'avoir violemment agressé un couple de confession juive,mercredi 3 décembre, à Créteil. Selon le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve, "le caractère antisémite de l'agression semble avéré".
Pour le sociologue Michel Wieviorka, auteur de "L'antisémitisme expliqué aux jeunes" (Seuil, 2014), ce préjugé liant juifs et argent existait "avant même l'antisémitisme". Pourquoi persiste-t-il ? Comment le combattre ? Explications de Michel Wieviorka. 
Jusqu'où remonte l'image stéréotypée associant les juifs à l'argent ?
- Les préjugés envers les juifs remontent, avant même l'antisémitisme, à l'antijudaïsme. Si l'argent n'était pas encore en jeu, la haine était religieuse : les chrétiens reprochaient aux juifs d’être un peuple déicide, d’avoir tué Jésus et de ne pas vouloir reconnaître la nouvelle religion.
Par la suite, au Moyen Age, les juifs ont souvent été, sinon expulsés, maltraités et confinés à des fonctions liées à l’argent, ce qui était mal considéré. Beaucoup travaillaient dans la banque. Ils ont alors commencé à subir des accusations de rapacité et d’avarice.
Ces reproches ont pris un tour nouveau au XIXe siècle, lorsque s'est construite la critique capitaliste : les juifs ont alors été accusés d’être les agents du capitalisme. Il ne leur était plus seulement reproché d’être avares, mais bien de ruiner le monde par l'argent. Là est véritablement né l'antisémitisme à proprement parler : les juifs ont été considérés comme une race, et associés à un complot d'envergure mondiale, le "Protocole des Sages de Sion".   
Tous les juifs étaient-ils concernés ?
- Non, un petit nombre de personnes était visé pour des raisons politiques, alors que la grande majorité des juifs a toujours appartenu plutôt à des masses misérables, des communautés traditionnelles…
Au moment de la révolution industrielle, les juifs ont constitué des bastions importants du prolétariat ouvrier, notamment en Pologne. C’est donc une idée injuste que de réduire le monde juif à la banque, à la finance et à l’argent. 
Pourquoi ce préjugé historique est-il encore si présent aujourd'hui ?
- L'agression du couple de Créteil, tout comme l'affaire Fofana, relèvent d'une criminalité mêlant crapulerie et antisémitisme. Mais ces actes s’inscrivent dans un paysage complexe et diversifié. La question israélo-palestinienne, l’islamisme radical, les propos et l’attitude de Dieudonné… Un ensemble de phénomènes excitent en même temps la société. On ne peut donc malheureusement pas isoler ces violences d’un contexte plus large.
Est-il possible d'en finir avec cette stigmatisation ? 
- Les juifs se retrouvent dans toutes les catégories sociales, et ils ne sont pas spécialement riches. Mais le problème avec de tels préjugés, c’est que ceux qui les véhiculent sont tellement convaincus de leurs propos qu’ils ne sont pas sensibles au discours de la raison. 
Essayez de convaincre les antisémites qu’ils ont tort : ils y verront une preuve de la malignité supérieure des juifs ! Ainsi, en voulant montrer que les juifs n’ont pas un rapport spécifique à l’argent, ceux qui sont convaincus du contraire diront que, d’une manière ou d’une autre, cela atteste de la suprême habilité des juifs à faire croire que nos idées sont fausses.
Alors comment au moins combattre ce préjugé ? 

- Chaque fois qu’une catégorie de la société est susceptible d’être sensible à ces stéréotypes, des explications doivent être apportées sur la vérité. Le but est d'éduquer les gens qui pourraient basculer dans le cliché, mais qui peuvent encore entendre des explications raisonnables. Et comme il est difficile de convaincre les plus convaincus, les efforts doivent être fournis au plus tôt, dès l'école. Après, c'est trop tard.
Mais s’il s’agit d’éduquer, il faut aussi préparer les enseignants, qui sont parfois confrontés à des situations qu’ils maîtrisent mal. Par exemple, un professeur d’Histoire qui parle de la naissance de l’Etat d’Israël, de l’antisémitisme et du nazisme, aura parfois des difficultés à faire cours devant des adolescents qui ont déjà des préjugés. Il est donc primordial de donner aux enseignants des outils pédagogiques qui leur permettent d’affronter des situations où les passions peuvent surgir. 
http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20141204.OBS7030/les-juifs-et-l-argent-il-faut-eduquer-des-l-ecole-apres-c-est-trop-tard.html

Les Juifs et l'argent, un préjugé tenace



«Le caractère antisémite de l'agression semble avéré», a expliqué jeudi Bernard Cazeneuve au sujet de l'attaque à Créteil d'un couple juif par deux hommes. Les auteurs de l'agression auraient invoqué la religion de leurs victimes pour justifier leur choix: «Ils pensaient qu'étant donné que ma famille est juive, les juifs, ça a de l'argent, c'est comme ça qu'ils l'ont dit, a raconté l'une des victimes à France Info, et en plus les Juifs ça ne met pas l'argent à la banque.». Une «raison» invoquée également par les agresseurs d'Ilan Halimi, jeune homme juif enlevé et torturé à mort en 2006 par le «gang des barbares» qui espérait une rançon de sa famille «supposée riche car juive».
• Préjugé historique. L'antisémitisme «économique» est une conséquence de l'antijudaïsme religieux: considéré comme le peuple «déicide» (pour avoir tué le Christ), les Juifs sont mis au ban de la société par les chrétiens. Comme le rappelle le sociologue Michel Wieviorka dans une interview à l'Obs: «au Moyen Age, les juifs ont souvent été, sinon expulsés, maltraités et confinés à des fonctions liées à l'argent, ce qui était mal considéré. Beaucoup travaillaient dans la banque. Ils ont alors commencé à subir des accusations de rapacité et d'avarice.». Mais c'est à l'orée du XIXème siècle, avec l'émergence du capitalisme industriel, que le cliché des Juifs et de l'argent s'affirme avec une nouvelle force. Les Juifs sont alors accusés d'être les promoteurs du capitalisme mondialisé. Le cliché se transforme en complot. L'historien Gerald Krefetz dans son livre Les juifs et l'argent: les mythes et la réalité, résume l'idée de l'antisémitisme économique en une phrase: «[les juifs] contrôlent les banques, la réserve monétaire, l'économie et les affaires — de la communauté, du pays, du monde».
Si le nouvel antisémitisme- ce que Pierre-André Taguieff appelle en France «nouvelle judéophobie»- qui se cache derrière le masque de l'antisionisme radical fait de nombreux adeptes, notamment dans les banlieues où se transposent le conflit israélo-palestinien, l'antisémitisme «à l'ancienne» reste tenace. On trouve par exemple dans les vidéos de Dieudonné et d'Alain Soral de nombreuses allusions à des liens entre la «communauté organisée» et les milieux d'affaires.
• Comment combattre ce préjugé? A l'Obs, l'auteur de L'antisémitisme expliqué aux jeunes insiste sur le rôle primordial de l'école pour lutter contre ces stéréotypes. «Comme il est difficile de convaincre les plus convaincus, les efforts doivent être fournis au plus tôt, dès l'école. Après, c'est trop tard.». Il conseille de doter les enseignants d'outils pédagogiques pour aborder ce sujet délicat.
Pour lutter contre ce préjugé, un Français Sasha Andreas a réalisé un documentaire «Jews got money» où il enquête sur la pauvreté dans la communauté juive à New-York, ou un Juif sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. En France, où les statistiques ethniques sont interdites, il est impossible de déterminer le niveau de vie des Juifs. Mais les deux plus grandes communuatés juives se situent à Sarcelles et dans le XIXème arrondissement de Paris, quartiers plutôt populaires, où la population a plutôt un train de vie modeste.
«On a donc voulu démontrer ce qui semble pourtant évident: la pauvreté existe aussi dans cette communauté.» explique la productrice du film Anna Heim, à BFMTV. Le documentaire a connu des difficultés de diffusion en France et en Israël, que l'auteur explique par une «peur de la stigmatisation». Sur le blog «Les Juifs ont de l'argent», les auteurs du documentaire s'appliquent à faire la généalogie historique de ces préjugés et à les démonter.

http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2014/12/05/01016-20141205ARTFIG00297-les-juifs-et-l-argent-un-prejuge-tenace.php

"Jews got money": un film veut briser les clichés sur les juifs et l'argent



Deux Français ont enquêté et réalisé un documentaire sur la pauvreté dans la communauté juive. Ils ont découvert un véritable tabou, au-delà du stéréotype du "juif forcément riche". Entretien.

jeudi 4 décembre 2014

L'argent et les Juifs


L'un des clichés antisémites les plus tenaces est l'amalgame des Juifs avec l'argent et la cupidité insatiable.

Après l'expulsion des Juifs d'Angleterre et de France au XIVe siècle, les Juifs se replient dans des cités ou provinces où ils bénéficient d'une sécurité relative et d'un statut précaire. Les professions liées à la terre (qu'ils n'ont pas le droit de posséder) leur sont interdites, de même que les fonctions politiques et la plupart des professions libérales. Restent le commerce et la finance. L'Eglise réprouve la pratique de l'usure chez ses fidèles. Les rabbins (guides spirituels des Juifs) y sont également opposés, mais devant l'absence d'alternative professionnelle, ils autorisent leurs coreligionnaires à exercer le prêt à intérêt. C'est la naissance du cliché antisémite amalgamant pour des siècles les Juifs et l'argent.

Plusieurs princes utilisent les services des Juifs, en échange de leur protection ou de privilèges, mais la situation des Juifs reste précaire et à la merci des besoins, des exigences et de l'humeur des princes qui peuvent, sans préavis, les expulser, leur confisquer leurs biens ou en faire les boucs émissaires du mécontentement populaire. Ils sont aussi l'objet de haine de la part de l'Eglise, à cause de leur métier, et de la part de la population pauvre qui les jalouse.

A Zurich, en 1309, un décret ordonne même aux Juifs de prêter de l'argent aux bourgeois de la ville moyennant caution; s'ils s'y refusent, ils encourent des sanctions. Le taux d'intérêt était fixé par le Conseil. Le prêt à intérêt et la friperie constituaient la seule source de revenus pour les Juifs de la ville.

C'est souvent au prix d'impôts toujours plus lourds que les Juifs sont tolérés : payer pour avoir le droit de résider, payer pour aller et pour venir, payer pour vendre et pour acheter, payer pour prier en commun, payer pour être enterré au cimetière. Sans argent, la communauté juive du Moyen Age serait condamnée à disparaître. D'où la nécessité d'en avoir assez pour vivre et survivre.

Ainsi, dans le comté de Baden, les Juifs résidaient en qualité d'"étrangers protégés", mais ils pouvaient en tout temps être expulsés. Grâce à des versements importants au bailli de Baden, les Juifs acquirent des "lettres de protection" leur assurant le droit d'établissement pour quelques années. Cette lettre autorisait les Juifs à pratiquer le commerce, mais pas à posséder des bâtiments ou des terres. Le nombre de maisons juives ne pouvait être augmenté ni les bâtisses surélevées ou agrandies. La dernière lettre de protection date de 1792.

Le stéréotype médiéval du Juif maître de la finance sera repris plus tard dans une version moderne : le Juif devient l'incarnation du capitalisme, de l'âpreté au gain et de l'exploitation des pauvres.

Aujourd'hui, cet amalgame n'a pas disparu de nos sociétés. Il réapparaît avec chaque crise économique (par exemple en 1997, le président malaisien accusait les Juifs d'avoir fait chuter la monnaie de son pays) et sert d'explication facile lors de faillites ou de réussites financières spectaculaires.

En Suisse, l'affaire des fonds en déshérence a réactualisé ce stéréotype, puisqu'on entend régulièrement des réflexions à propos de la cupidité des Juifs et leur volonté tenace d'obtenir toujours plus. Dans le cas présent, on oublie de mentionner que les organisations et les plaignants juifs ne réclament que ce qui leur appartient et qui a été illégalement gardé par les banques pendant plus de 50 ans.


François DE FONTETTE : Histoire de l'antisémitisme, Paris, Que sais-je ?, 1982.
Vie juive en Suisse, collectif, Lausanne, Grand-Pont, 1992.

vendredi 14 novembre 2014

Il paraît qu’il y a des juifs pauvres ! Incroyable, non ?




Des Juifs il y en a de toutes sortes. Des biens. Des pas biens. Des gros. Des maigres. Des intelligents. Des cons. Des de droite. Des de gauche. Et a priori, selon la vox populi, ils se tiennent tous les coudes. Mais des Juifs pauvres ?

Eh bien il y en a. Sasha Andréa les a vus et les a filmés. A New York, où un Juif sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. Pourquoi à New York et pas à Paris ? Sans doute parce que la métropole américaine est la plus grande ville juive du monde. Et peut-être aussi parce que c’est là-bas que se trouvent les sièges de quelques très grandes banques (juives).

En effet, comme nul ne l’ignore, qui dit banque dit Juif, qui dit argent dit Juif, qui dit profit (avant c’était l’usure) dit Juif. Le film de Sasha Andréa s’appelle d’ailleurs "Jews got money" ("Les juifs ont de l’argent") et s’acharne, de façon convaincante, à montrer le contraire de ce qui est dit dans le titre. Combat du pot de terre contre le pot de fer. Dans l’imaginaire populaire le Juif reste durablement associé à un autre titre (de Woody Allen celui-là) : "Take the money and run" ("Prends l’oseille et tire toi").

C’est le drame d’Ilan Halimi, jeune Juif enlevé et torturé à mort "parce qu’il devait avoir de la thune" qui a été le déclencheur du documentaire. Youssouf Fofana et le Gang des Barbares ne se pensaient pas vraiment antisémites. Ils étaient seulement et très intimement persuadés que les Juifs étaient riches et qu’ils se tenaient les coudes dès que l’un d’entre eux étaient dans le malheur. Manque de chance pour eux : la mère d’Ilan Halimi, réceptionniste dans un immeuble, était une Juive pauvre.

On comprend que ça ait pu légitimement énerver Youssouf Fofana. Et c’est peut-être ça qui l’a rendu finalement antisémite… Car s’il y a des Juifs pauvres, où va-t-on ? Comment est-ce possible ? Non, ce n’est pas possible ! Les Juifs pauvres cachent certainement leur magot pour inspirer la pitié… Ou alors, hypothèse dont on voit tous les tenants et aboutissants chez Dieudonné, Soral, et quelques autres, ils sont payés en sous-main, par les banquiers de la même origine qu’eux. Car nul ne peut douter que les rapaces de Wall Street soient avant tout soucieux de détourner l’attention de la montagne de thune qu’ils entassent dans leurs coffres…

jeudi 13 novembre 2014

Non, les juifs ne sont pas tous riches


“Les Juifs pauvres, ça existe ?” C’est suite à cette réflexion de l’un de ses amis, après avoir vu La Petite Jérusalem, que Sasha Andreas décide de faire un film sur un sujet dont on parle peu : la pauvreté au sein de la communauté juive. Mais le cliché selon lequel “les Juifs ont de l’argent” est bien ancré dans les esprits, et la précarité de certains d’entre eux semble être un réel tabou. Pour preuve, deux ans après le bouclage du film, les auteurs de “Jews got money” n’ont toujours pas trouvé de salle pour diffuser leur documentaire.
“Mettre fin à un stéréotype”
“Un Juif new-yorkais sur cinq vit dans la pauvreté”, affirme Anna Heim, productrice du film. L’équipe du film a choisi de concentrer son attention sur New York. Dans leur documentaire de quarante minutes, sociologues, membres d’associations caritatives, représentants officiels de la communauté juive ont la parole. Le réalisateur voulait “mettre fin à un stéréotype dangereux”,  nous explique Anna Heim. Dans une tribune sur le Huffington Post, la réalisatrice racontait:
Il n’y a pas de raison de cacher l’existence des Juifs pauvres. Non seulement cela nourrit l’antisémitisme, mais cela prive aussi les associations qui leur viennent en aide de dons dont elles manquent toujours autant“.
Mais alors que l’objectif du film est de faire prendre conscience d’une réalité, les réactions ont pu être étonnantes, témoigne Anna Heim :
Nous avons même été accusés de créer le cliché sur les Juifs riches“.
Pourtant, le but est bel et bien de souligner un fait qui tient de l’évidence : pourquoi, précisément, n’y aurait-il pas de Juifs pauvres ? “Certaines personnes qui ont vu le film nous ont dit : ‘c’est logique que tous les Juifs ne soient pas riches’. Nous avons mis le doigt sur une évidence”, rapporte la productrice.
Aucun distributeur, peu de couverture médiatique
Alors même que “Jews got money” traite d’un sujet qui se fait rare au cinéma et dans les médias en général, l’équipe du film a eu beaucoup de mal à trouver des financements, explique Anna Heim :
Nous avons donc décidé de le tourner à New York, avec un très petit budget“.
Mais les difficultés ne faisaient que commencer. Si le cliché a la vie dure parmi les personnes non juives, il existe aussi au sein de la communauté juive. “C’est un tabou, répète Anna Heim, les Juifs ont peur d’être mal vus. Il n’y a pourtant aucune raison : il existe de très nombreuses raisons pour lesquels des Juifs vivent dans la pauvreté.” Trouver des témoins et spécialistes qui acceptent de parler du sujet n’a donc pas non plus été chose facile. Et au moment de diffuser le film, tous les interlocuteurs vers lesquels se sont tournés Anna et Sasha ont refusé :
On nous renvoyait souvent vers la communauté juive, qui n’étaient pas plus intéressés que les autres“.
Même problème avec les médias. Anna Heim évoque un article de Rue 89, et quelques-uns dans la presse anglophone. “Mais nous aimerions que les médias français en parlent, regrette la productrice, car nous sommes Français.”
“Nous voulions que les gens voient notre film”
Deux ans après, Sasha et Anna ont trouvé une solution : diffuser le film sur Internet. Il est disponible sur la plate-forme Reelhouse, un site canadien qui permet la mise en ligne de films indépendants. Les internautes peuvent louer ou acheter le film pour un petit prix. Une démarche de dernier recours pour le réalisateur et sa productrice :
Cela risque de compromettre le film de le mettre sur Internet. Nous avons pris cette décision après avoir frappé à toutes les portes“.
Mais une raison a motivé les deux auteurs de “Jews got money” à prendre ce risque :
Nous avons fait ce film pour son message. Nous voulions que les gens le voient“.

http://www.lesinrocks.com/2014/11/13/actualite/jw-got-mone-docu-trouve-pas-distributeur-11535221/ 

vendredi 7 novembre 2014

Le premier documentaire sur les juifs pauvres ne plait pas en France

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« J’ai réalisé le premier documentaire sur les Juifs pauvres à New York« , m’explique Sasha Andreas.

Saviez-vous qu’un juif sur cinq, à New York, vit dans la pauvreté ?

C’est une des réalités qui est décrite dans le documentaire « Jews Got Money », qui détruit les clichés sur le juif et l’argent. Alors que l’antisémitisme, et peut-être aussi une fierté mal placée ont rendu le juif pauvre virtuellement invisible, ce documentaire jette un regard nouveau sur les Juifs sans le sou.
« Toujours étonnant d’être soutenu par Biz Stone, le créateur de Twitter », me dit Sasha :
Et récemment par le professeur Steven Pinker de Harvard :
…Et d’être totalement ignoré dans son propre pays. Malgré ces temps Dieudonnesques, les médias font semblant de regarder ailleurs. Tabou absolu », conclut Sasha.

Guy Kawasaki, ancienne star « chef évangéliste » d’Apple, en parle aussi (et offre un bon de réduction pour visionner le reportage) :
http://www.dreuz.info/2014/11/le-premier-documentaire-sur-les-juifs-pauvres-de-new-york-ne-plait-pas-en-france/

jeudi 2 octobre 2014

Jews Got Money | O 1º documentário sobre judeus pobres estreia na internet


O documentário ‘Jews Got Money’ já está disponível na plataforma Reelhouse. Dirigido pelo francês Sasha Andreas e produzido por Anna Heim, a @abracarioca, quer corrigir o perigoso estereótipo que diz que ‘judeus têm dinheiro’. Filmado em Nova Iorque, traz à tona a pobreza que atinge 1 em cada 5 judeus na cidade, entre eles famílias da ex-URSS e sobreviventes do Holocausto. ‘Jews Got Money’ já recebeu o apoio de personalidades como Guy KawasakiSteven Pinker e Biz Stone. Se você se interessou e quiser comprar ou alugar o documentário, clique aqui e, na hora de efetuar o pagamento, use o código SHANATOVA para receber 2 dólares de desconto.


http://www.bluebus.com.br/jews-got-money-1o-documentario-sobre-judeus-pobres-estreia-na-internet/

lundi 29 septembre 2014

‘Jews Got Money’ – challenging anti-Semitism and a Jewish taboo



The other day someone tweeted at me the words ‘J£w$ Got Mon€¥’. And I was just about to tweet back: ‘Get stuffed, you anti-Semitic scum’. But I clicked on the link and realised I’d got the wrong end of the stick. The tweet came from Sasha Andreas, who’s made a documentary about poor Jews, mostly in New York. It features leaders of Jewish charities talking about a subject so sensitive that their own community is nervous about it – understandably. The words ‘Jews’ and ‘money’ are usually joined together by anti-Semites. Also, New York Jews are the wealthiest Jewish diaspora in history. ‘Poor Jews’ is assumed to be an oxymoron.
It isn’t. The Hebrew Free Burial Association has the heartbreaking job of organising religious funerals and burials for Jews who ‘meet their ends in a hospital, nursing home, lonely apartment or even on the street’. The Jewish community has the reputation of looking after its frailer members. It does so very successfully – but some people are forgotten. Elderly Jews marooned in formerly Jewish neighbourhoods from which everyone else has moved out. Russian immigrants, some without documentation. Victims of financial disaster. One poor man was relying for his retirement on his son’s business running the observatories on the top of the World Trade Centre. One of the Jewish community leaders in the film says, rather wistfully, that although he’s proud that Jewish people are such generous benefactors of the arts and academia, he wishes they paid more attention to the ‘invisible’ poor. Another detail from the film: there are poor Jews in Israel, too, but the authorities can be reluctant to admit the fact out of national pride.
Jews Got Money was made on a shoestring and should have received a wider audience. You can watch it here (citing the discount code SHANATOVA). I strongly recommend it.

dimanche 28 septembre 2014

Juifs français la tentation du départ

Après un été secoué par de violents débordements lors des manifestations propalestiniennes, la communauté, qui s’apprête à fêter Yom Kippour, évoque un malaise grandissant, une peur diffuse et un sentiment d’abandon.

Cela pourrait être la rumeur de la rentrée. Ou bien - si l’on osait, eu égard au contexte - une sorte de blague juive que l’on se raconte entre soi. Il en existe déjà plusieurs versions. L’une se passe à Marseille et l’autre, plus étrangement, à Saint-Mandé, localité aux portes de Paris et à deux enjambées du bois de Vincennes, prisée par une bourgeoisie qui, récemment, a socialement réussi. Mais c’est la même histoire. Un homme entre dans une agence immobilière pour s’informer du prix du mètre carré, l’agent lui répond qu’il vaut mieux attendre pour acheter, que les prix vont baisser car les juifs vont s’en aller.
De Strasbourg à Paris, parmi les juifs français, hésitant entre humour et crédulité, l’histoire court depuis peu. Réelle ou fausse, elle est un symptôme, au sortir d’un été calamiteux. On y a vu des manifestations aux dérapages violents et aux cris de haine sans précédent, terme d’une longue série aux relents d’antisémitisme de plus en plus virulent et parfois meurtrier. L’idée d’un départ, c’est vrai, hante beaucoup d’esprits. Comme une issue possible, un ultime recours. Pour se rassurer, comme à chaque moment de crise.

Argentine, Israël ou Canada

A l’automne 1980, après l’attentat de la rue Copernic, qui avait fait quatre morts et une quarantaine de blessés devant une synagogue, beaucoup avaient déjà envisagé de quitter l’Hexagone. C’était la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale que l’on s’en prenait, en France, à des juifs parce qu’ils étaient juifs.«Dans mon entourage, aucun n’est finalement parti», se souvient l’historienne Annette Wieviorka.
«Je suis né en 1939 et l’idée d’un départ, vous imaginez bien, a toujours été présente dans mon esprit», explique François (1), un septuagénaire vivant plutôt confortablement dans le VIe arrondissement de Paris. Comme pour d’autres, l’horizon de l’exil, en cet automne 2014, entre Rosh Hashana (le Nouvel An juif) et la fête de Yom Kippour (le jour du grand pardon), n’est pourtant plus vraiment une chimère. Et, comme pour lui donner corps, François évoque son éventuelle destination. Pour lui, ce ne serait pas Israël, mais l’Argentine, terre bénie de la psychanalyse et patrie d’accueil d’une importante communauté juive.
Il n’est pas le seul à agiter cette idée, parfaite jauge du sentiment de menace et de peur qui prévaut aujourd’hui. «Lors de l’anniversaire d’une amie, nous nous sommes retrouvées à quelques-unes dans la cuisine, raconte ainsi Lise, ex-militante de la gauche radicale, restée proche des milieux politiques français. Un peu sur le mode de la plaisanterie, mais pas tant que ça, on s’interrogeait les unes les autres sur le pays où l’on pourrait aller s’installer.» Ebranlée et inquiète, Lise est désormais convaincue que ses «enfants ne feront pas leur vie ici, en France, et que, peut-être, nous serons aussi obligés de les suivre».
Psychanalyste, Emmanuel Niddam, ancien militant de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) et «bobo vivant au-dessus de ses moyens» - comme il le dit de lui-même -, envisage d’acheter un appartement, un peu pour préparer ses vieux jours. «Avec mon épouse, on avait d’abord songé à Avignon, car nous avons là-bas des racines, raconte-t-il. Aujourd’hui, on se dit pourquoi pas à Tel-Aviv, même un placard à balais, car là-bas, les prix de l’immobilier sont aussi très élevés. Parce qu’on ne sait jamais. Oui, c’est nouveau dans ma tête. Franchement, Israël, ce n’est pas trop mon terrain. Je ne voudrais pas vraiment y vivre. Mais c’est le seul pays où, même si j’arrivais à la nage, on me donnerait des papiers.» Pour lui comme pour les autres, il ne s’agit pas d’accomplir son alyah, sa «montée», soit un départ en terre d’Israël.

Climat anxiogène

Le nombre de ceux qui ont quitté cette année la France pour l’Etat hébreu a cependant explosé, frôlant, à la fin août, les 5 000 personnes, ce qui représente quasiment le double du flux habituel. Pour les moins sionistes des juifs français, il faut malgré tout prendre ce chiffre avec circonspection. «On parle toujours de ceux qui partent en Israël, mais jamais de ceux qui en reviennent», pointe la sociologue des religions Martine Cohen. Certes. D’ailleurs, Israël n’est pas la seule destination privilégiée, loin de là, par les juifs français désireux de quitter l’Hexagone. D’autres - souvent les plus aisés - choisissent les Etats-Unis ou le Canada.
Dans ce mouvement de migration, il y a aussi, bien sûr, un ensemble hétéroclite de motivations. Les questions de sécurité et de montée de l’antisémitisme ne sont pas les seuls facteurs. La crise économique en France, l’absence de perspectives de carrière, une mobilité professionnelle accrue, en particulier chez les jeunes, voire des raisons moins avouables, l’évasion fiscale par exemple… Autant d’éléments qui peuvent également expliquer la flambée des départs. Quoi qu’il en soit, la stupéfiante augmentation du nombre d’alyahs en 2014 montre bien à quel point les juifs français se posent des questions sur leur avenir dans l’Hexagone.
Troquer Avignon contre Tel-Aviv ? C’est à la fin de l’été que l’idée à germé dans l’esprit d’Emmanuel Niddam. «C’est mon assurance-vie», dit-il. Pour beaucoup de juifs français, même ceux qui s’affichent laïques, peu «communautarisés», de gauche, critiques de la politique du Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, soutenant la création d’un véritable Etat palestinien, les manifestations de juillet ont constitué une rupture, un tournant, creusant le malaise et le désarroi. «Le mot "malaise" est faible. Pour moi, c’est de la détresse,estime le psychanalyste Jean-Jacques Moscovitz. Il y a des morts, des menaces de morts, des enfants juifs qui vont à l’école gardés par la police.»
Le choc de cet été intervient alors qu’un climat très anxiogène s’est installé depuis une dizaine d’années, de l’épouvantable assassinat en 2006 du jeune Ilan Halimi par le «gang des barbares» au périple meurtrier, en 2012, de Mohamed Merah. Quelques semaines à peine avant le début de la nouvelle guerre à Gaza, la tuerie au Musée juif de Bruxelles, commise le 24 mai par Mehdi Nemmouche, jihadiste français de retour de Syrie, pointait de fait les juifs comme des cibles privilégiées. Début septembre, quelques confessions d’ex-otages révélaient d’ailleurs l’obsession antisémite de Nemmouche, largement partagée dans les milieux de l’islamisme radical.

«Juifs dehors, juifs assassins»

Attisée notamment par Dieudonné, dont l’audience effraie nombre de juifs français, la parole antisémite s’est de plus en plus libérée. Un voisin d’immeuble peut déclarer tout de go qu’il «n’aime pas les juifs» et il faut, tout en le sachant, continuer à le saluer comme si de rien n’était. Parfois, dans l’ascenseur, on découvre aussi une croix gammée qu’on demande poliment au gardien d’effacer.«J’ai grandi avec ça, explique Tom, un étudiant en médecine de 25 ans. C’est ce qui fait la différence avec les générations de mes parents et de mes grands-parents. Quand j’étais adolescent, les parents d’une jeune fille dont j’étais amoureux lui avaient interdit de me voir sous prétexte que j’étais juif. La France, il ne faut pas l’oublier, est un pays où l’antisémitisme tue.»
Indéniablement, les événements de l’été, ravivant les souvenirs des années noires, ont rendu palpable une sorte de menace collective. «Là, c’était des manifestations de masse, explique la chanteuse Talila, connue pour ses interprétations de chansons yiddish. Merah, on pouvait se dire qu’il faisait partie d’une petite bande de tueurs irresponsables.» Vivant aux abords de la gare du Nord, à Paris, elle a croisé, le 19 juillet, les manifestants qui se rendaient à Barbès. «Je remontais la rue de Maubeuge. J’ai appelé mes proches, qui m’ont dit de ne pas trop me promener avec ma maguen David, une minuscule étoile de David que je porte au cou. C’est vrai, pour la première fois de ma vie, je me suis dit qu’il ne fallait pas que je me promène avec ça, raconte-t-elle. Je croisais des types curieux et j’ai pensé qu’ils pouvaient reconnaître que j’étais juive. C’est un sentiment que je n’avais jamais eu auparavant, jamais. J’ai eu envie de pleurer. Ma première pensée a été : heureusement, mes parents sont morts. Heureusement, ils n’entendent pas ce que l’on entendait ce jour-là : "Juifs dehors ! Juifs assassins !"» Annette Wieviorka avoue, elle aussi, avoir eu peur. «Lors de la manifestation à Barbès, j’ai vu la haine du juif, une haine symbole de la haine de l’Occident», dit-elle.
«Ici, dans le Marais, j’ai entendu des petites bandes de jeunes, à peine plus âgés que des ados, qui criaient "mort aux juifs", dit pour sa part Emmanuel Niddam. Deux soirs de suite, ils ont essayé d’aller rue des Rosiers [dans le quartier juif de Paris, ndlr]. A ce moment-là, j’ai été soulagé que ma famille ne soit pas à Paris, surtout ma petite fille.»
A Strasbourg, Gabrielle Rosner, journaliste free-lance, évoque plutôt la soirée du 13 juillet, celle de la finale de la Coupe du monde de football et… des incidents qui ont eu lieu aux abords de la synagogue de la rue de la Roquette, à Paris. «Ici, nous vivons plutôt dans une bulle de tranquillité, explique-t-elle. Ce soir-là, j’ai eu un choc, oui, quand les premières images de la rue de la Roquette ont commencé à circuler. Beaucoup d’entre nous se souviendront toujours de l’endroit où ils étaient et de ce qu’ils faisaient ce soir-là, un peu comme le 11 Septembre. Même s’il y a eu des provocations de la LDJ [la Ligue de défense juive], s’attaquer à une synagogue, c’est un réflexe qui vient du fond des âges. De mon point de vue, cela a refermé la parenthèse de l’histoire d’après la Shoah.»

«Quelque chose d’impalpable»

La vie, bien sûr, continue. Comme avant, ou presque. «En France, il n’y a pas aujourd’hui d’antisémitisme d’Etat, plaide l’historienne Annette Wieviorka. Nous ne sommes pas, il faut le dire, entravés dans notre vie. Tout le monde sait que je suis juive. Je suis toujours invitée dans des colloques, j’écris un livre. A aucun moment je ne ressens d’incidences dans ma vie professionnelle. Mais oui, il y a quelque chose d’impalpable qui fait que nous prenons désormais des précautions.» Plus qu’hier, la peur se mesure à des détails. «L’un de mes fils prépare sa bar-mitsva dans une synagogue libérale, raconte un journaliste. Lorsque je vais le chercher, je lui demande d’ôter sa kippa pour marcher dans la rue.»
«Est-ce que je fais plus attention ? Pour être franc, je n’en sais rien, avoue Emmanuel Niddam. Mais je redoute la fête de Kippour. Pour n’importe quel cinglé, c’est typiquement le moment pour entreprendre quelque chose. Dans mon esprit, il y a cette idée maintenant qu’un attentat antijuif peut survenir ici tous les six mois.» «Cette année, ma mère est trop âgée pour se rendre à la synagogue à l’occasion de la fête de Kippour et je suis soulagée de ne pas avoir à l’accompagner, raconte une chercheuse en sciences humaines. Les années précédentes, j’avais déjà un peu peur, mais je savais qu’il y avait la police… Cette année, oui, c’est différent.»

Une trahison de la gauche

De ce malaise et de ce désarroi grandissants, les juifs français cherchent les causes. Beaucoup déplorent que le juif et l’Israélien soit associés sans nuances, ne laissant plus guère d’espace de dialogue avec ceux qui soutiennent la cause palestinienne. «Pour les antisémites, le juif ne peut pas apparaître au grand jour,explique Jean-Jacques Moscovitz. Cet été, l’Etat d’Israël est devenu le signe, la définition de l’existence des juifs. Tout à coup, le juif est devenu celui qui soutient Israël. La question de la Palestine y joue un rôle majeur, ouvrant sur des perspectives trop souvent erronées. C’est ça, la nouveauté de ces derniers mois. Israël est désormais la part visible du juif.»
Politiquement, cela accentue l’isolement des juifs français au sein de la société. De fait, il y a eu d’autres moments de crise, comme le rappelle Annette Wieviorka : «Ce n’est pas la première fois que nous avons peur. Mais en 1980, à la suite de l’attentat de la rue Copernic, toute la société française est descendue dans la rue. Je me souviens avoir même vu les francs-maçons défiler en tenue. Ce qui fait la différence avec ce que nous vivons aujourd’hui, c’est l’isolement des juifs français.»Lors de la profanation du cimetière juif de Carpentras, dix ans plus tard, la société civile faisait aussi entendre massivement sa réprobation. «Oui, mais pour Carpentras, c’était une affaire qui mettait en cause l’extrême droite. La majorité de la population française est fatiguée, je crois, d’être prise à témoin de quelque chose qui ne la concerne pas directement, souligne l’écrivain et journaliste Olivier Guez.Comme s’il y avait une tentation de laisser les Français d’origine juive et arabe batailler entre eux à propos de l’interminable conflit israélo-palestinien.»
La société française a longtemps eu de la sympathie pour l’Etat d’Israël. Puis le désamour s’est installé. «Le tournant, c’est 1982, explique le sociologue Michel Wieviorka. Israël envoie ses troupes jusqu’à Beyrouth lors de l’opération "Paix en Galilée". L’OLP [l’Organisation de libération de la Palestine, ndlr] est chassée du Liban et il y a les terribles massacres des camps de Sabra et Chatila [commis par les milices chrétiennes sous les yeux des soldats israéliens] Désormais, l’opinion publique est majoritairement favorable à la cause palestinienne. Cet été, confrontés aux flambées antisémites, beaucoup de juifs français ont espéré un sursaut, attendu une solidarité. La mobilisation n’est pas venue. Parce que, et le piège est là, prendre la défense des juifs serait déjà sans doute assimilable à une défense inconditionnelle d’Israël. Pour les juifs progressistes, il y a là une véritable trahison de la gauche, embarrassée par les nouveaux visages de l’antisémitisme. Pas celui d’un Dieudonné, plus ou moins assimilable à celui de l’extrême droite, mais celui, virulent, qui apparaît dans certains milieux musulmans, au-delà même de l’islamisme radical, et qui gangrène parfois des quartiers populaires.

Un modèle républicain en crise

La gauche, elle, reproche aux juifs français de ne pas suffisamment prendre leurs distances avec la politique israélienne, voire d’entretenir eux-mêmes la confusion entre juifs et Israéliens. «A chaque fois qu’Israël intervient à Gaza, il y a des bouffées de violences ici en France», rappelle, en tempérant les polémiques, Michel Wieviorka. Selon lui, il s’agit d’abord et avant tout d’une question politique. La crise, même dans la virulence et les peurs qu’elle suscite, est celle du modèle républicain à la française, auquel il est urgent de réfléchir : «Les inquiétudes pour la sécurité physique des personnes sont réelles. Mais les inquiétudes les plus profondes, me semble-t-il, sont liées aux transformations actuelles de la société française.» «La France ne sait plus très bien qui elle est,estime pour sa part Olivier Guez. C’est quoi l’horizon pour les juifs laïques qui considèrent que leur vie est ici ? Est-ce la radicalisation d’une frange des jeunes de banlieue qui fait le jeu du Front national ? C’est un horizon bouché.»
La crise du modèle républicain croise, en fait, des problématiques aiguës pour la société française tout entière : fragilité des identités, intégration de l’islam, acculturation de cette religion au contexte européen, montée des intégrismes politico-religieux, communautarisation de larges pans de la société, (re)définition de valeurs communes… «Il faut repenser la question juive en France et en Europe», plaide Michel Wieviorka. Un défi spécifiquement français, car l’Hexagone compte les communautés juive et musulmane les plus importantes du monde occidental. La France a aussi bâti son modèle d’intégration au XVIIIe siècle pour répondre justement à la question juive. «Il faut tout refuser aux juifs comme nation et tout accorder aux juifs comme individus», disait, dans un discours célèbre et fondateur à la Révolution, le comte et député Stanislas de Clermont-Tonnerre. Friande de polémiques où se mêlent politique et religieux, la France est aussi à la recherche d’un nouveau modèle de laïcité.
Reste que, pour beaucoup de juifs français, il y a bel et bien une montée des périls. Pour l’heure, ce qui les rassure, c’est un discours politique, notamment celui tenu avec vigueur par le Premier ministre, Manuel Valls, qui dénonce sans faiblir l’antisémitisme et soutient la communauté juive. Mais demain ? Qu’adviendrait-il si le Front national convertissait en voix les espérances que lui donnent les sondages ? «Je me demande souvent si je ne ressemble pas à ces juifs allemands d’avant la guerre, totalement intégrés à l’Allemagne, s’interroge la chanteuse Talila. Jamais ils n’auraient pensé qu’il puisse se passer ce qui s’est passé. Ne suis-je pas aveuglée comme ils l’étaient eux-mêmes ? La France, c’est aussi celle de Pétain. Cette France-là peut-elle revenir ?»
(1) Le prénom a été modifié.

http://www.liberation.fr/societe/2014/09/26/juifs-francais-la-tentation-du-depart_1109232